Portrait de l’artiste Lina Husseini

Portrait de l’artiste Lina Husseini

Nour KREIDY | February 9, 2020, 7h30PM

Il s’agit de Lina Maalouf Husseini, artiste franco-libanaise née à Beyrouth en 1965, passionnée d’art contemporain et de liberté. Autodidacte, elle expérimente tardivement l’art de la peinture et de la sculpture tout en se redécouvrant. En effet, Lina Husseini réalise d’abord ses études à l’Université Américaine de Beyrouth (AUB) pour obtenir un diplôme en administration publique, avant de débuter sa carrière dans ce domaine très loin du monde artistique.
« J’ai toujours été attirée par l’art, mais j’ai attendu pour que mes enfants grandissent et deviennent autonomes, afin que je puisse avoir le temps et la tranquillité nécessaires pour me lancer dans une nouvelle profession », explique l’artiste.
Assoiffée d’art et de créativité, Lina Husseini participe à des cours collectifs en mosaïque et en sculpture pour s’approfondir ensuite dans l’art singulier et construire sa propre identité. Elle commence par concevoir des sculptures en papier maché, représentant des femmes et des animaux aux formes très arrondies et colorées, puis elle explore progressivement d’autres matériaux tels que le bois, la résine, le métal et le plexiglas pour en créer tantôt de petits personnages et des portraits, tantôt des sculptures murales et des installations. Très inventive, Lina réalise aussi d’ingénieux assemblages à partir d’éléments recyclés. « J’aime bien détourner les objets et les transformer. Pour moi, c’est un jeu spontané qui rompt avec les lignes et la symétrie régulières », ajoute-t-elle.
Lina Husseini continue à perfectionner son travail avec acharnement en espérant réaliser ses ambitions. Elle fait ses débuts dans le marché de l’art en 2014, en présentant sa première exposition, « Machetag », puis « Second Degré » à la galerie Exode à Ashrafieh en 2018. Plus récemment en 2019, elle expose ses œuvres au Salon d’art contemporain à Saint-Jean-Cap-Ferrat avec 30 artistes internationaux, ainsi qu’à la galerie française GAT- Art en 2020.

The five brothers 1v — Clay, ceramic painting 20 x 45 x 7 cm — 2020

Quant à ses sources d’inspiration, elles sont très variées mais toutes prennent naissance à partir de son vécu quotidien : que ce soit de ses visites de musées ou d’expositions, de ses voyages ou de ses expériences personnelles. « Je puise d’un peu partout et je laisse libre cours à mon imagination. Je m’inspire également de certains grands artistes que j’admire beaucoup tels que Picasso, Jean Dubuffet et Gérard Deschamps. Mais ça ne m’empêche pas d’apprécier aussi d’autres styles », renchérit-elle.
Et elle poursuit : « Pour moi, créer est un moteur pour dépasser les difficultés et l’ennui. Surtout avec tout ce qui se passe en ce moment dans notre pays, il y a de quoi se sentir démoralisé. »
Lina Husseini n’est pourtant pas le genre d’artiste à jouir de la solitude, mais bien au contraire elle aime être entourée et collaborer avec d’autres artistes. « J’ai eu la chance de travailler avec Bernard Brandi, grand artiste et sculpteur français que j’ai rencontré au Liban en 2019, ainsi qu’un jeune artiste graffeur libanais qui s’appelle Dan Barok. J’aime bien tisser des liens avec plusieurs générations pour me focaliser sur différentes perspectives qui m’aident à développer mon art et ma culture artistique », raconte-t-elle.

Stripped 1 — Wood, acrylic 40 x 63 x 11 cm — 2019

L’art de Lina Husseini est plutôt orienté vers les tendances contemporaines mêlées à l’abstrait et au figuratif. Toutefois, rebelle dans ses œuvres, elle ne suit pas forcément de règles académiques. « J’écoute mon intuition et j’improvise. Je n’aime pas être limitée », avoue l’artiste.
Effectivement, l’univers artistique de Lina Husseini est un patchwork de formes et couleurs, affranchi de tout formalisme, parfois ludique, visant à donner une note de positivité tout en révoquant avec originalité des sujets tels que la tolérance, le racisme, les préjugés et l’inégalité. « Je fais passer de profonds messages à travers mon art, d’une manière philosophique mais un peu moins sérieuse, qui pourrait être acceptée plus facilement par le public », affirme l’artiste.
Néanmoins, le thème le plus récurent dans ses œuvres n’est autre que la Femme qu’elle met souvent en avant dans ses portraits et ses sculptures. « La femme devrait avoir une place très importante dans la société, parce qu’elle possède une autre vision, un autre regard sur les choses, une différente façon de faire. Pour cela, elle mérite non seulement d’être écoutée et valorisée mais aussi et surtout, placée à égalité avec l’homme. »
Selon Lina Husseini, l’artiste joue donc un rôle inestimable au sein de la société : il peut influencer le monde à travers ses créations tout en dénonçant des stéréotypes, et initier une certaine réflexion afin de bouleverser les mentalités et développer l’esprit critique de l’observateur. « En regardant une œuvre, il faut aller au-delà de ce qu’on voit, afin de saisir le message qui se cache derrière. Dans ce sens, l’art est une interaction, un échange de pensées et de sentiments. Face à une toile, on peut ressentir l’anxiété, la révolte, la joie etc… et c’est bien là que réside la force de l’artiste », indique-t-elle.

A step forward — Metal, 27 x 170 x 60 cm — 2019

Cependant, Lina Husseini reproche au monde actuel de l’art d’être de plus en plus dirigé vers le business : « On voit rarement des galeries et des curateurs qui encouragent des artistes peu connus. Ce sont toujours les mêmes œuvres cotées, qu’on peut vendre plus rapidement aux clients, souvent sous le prétexte d’un bon investissement. Mais c’est bien dommage de voir beaucoup de gens hésitant à acheter sur un simple coup de cœur.»
L’artiste déplore aussi l’inégalité entre hommes et femmes même dans le domaine artistique :
« Pour assez de femmes artistes comme moi, c’est un peu décourageant. Il faut qu’on travaille doublement et qu’on se batte pour gagner une petite place. Et si on arrive à être sélectionnée pour une exposition, il faut avoir les moyens, car c’est souvent contre un très haut taux de commission. Et donc au final, on ne se sent pas assez rémunérée. »
Et elle enchaîne : « Les galeries au Liban ont aussi tendance à exposer davantage des artistes étrangers car ça plait plus facilement aux clients. C’est ce complexe de l’étranger chez nous les Libanais, comme quoi tout ce qui est local est moins important, moins classe. Pourtant nous avons de grands artistes libanais extrêmement doués ! »

Pour enfin conclure : « J’en profite pour remercier la Galerie Janine Rubeiz d’avoir invité tous les artistes libanais de la Thawra à afficher leurs œuvres à l’exposition « October 17, 2019 ». Cette belle initiative, comme beaucoup d’autres qui l’ont suivie, a eu énormément de succès, et a prouvé encore une fois qu’il y a de la place pour tout le monde.
Mon dernier message : donnez une chance à tous et encouragez les femmes artistes, parce que l’art est notre seule lueur d’espoir. »

Updown NYC — Mixed-media on wood 75 x 60 cm — 2018

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